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Blog d'auteur

Bienvenue. Après trois romans policiers, venez lire mon petit roman fantastique gratuit, L’Étrange monsieur Sergent...

Témoignage

Modeste rêvait qu’il prenait la parole à une réunion de l’association Ibuka. Il faudrait bien un jour qu’il le fasse pour de bon, mais pour l’instant, c’était son inconscient qui le préparait. Il n’était plus ignorant depuis qu’il lisait à la bibliothèque tout ce qui pouvait être lu sur le génocide. Il suivait les controverses et s’indignait du rôle des uns et des autres. Il se retrouvait donc seul face au public, devant une assemblée d’une trentaine de personnes et ses deux enfants.
 
–  Bonjour, je me présente, je m’appelle Modeste Kirambani, j’ai 45 ans. Je suis heureux que mes deux enfants soient là pour entendre ce que j’ai à dire. Je suis un rescapé du génocide. Ce qu’il nous est arrivé ce jour-là et les suivants, je ne l’ai pas compris. Aujourd’hui encore, je me demande ce qui a pu déclencher une telle sauvagerie de la part de ceux qui ont partagé les mêmes bancs d’école que moi. Bien sûr, tout petit déjà, on nous a fait comprendre, nous les Tutsis, que nous devions partir. Mes parents répondaient toujours à ce genre de personnes : « Partir pour aller où, nous sommes chez nous ici ». Ce sont les Allemands, paraît-il, il y a longtemps, qui ont mis dans la tête de nos compatriotes que nous étions différents,  que nous n’étions pas frères. Dans mon village, peu de gens étaient hostiles à notre égard. Mes camarades et moi avions le même maître d’école, le même pasteur, les mêmes jeux. Nous avons été élevés de la même façon. À ceux qui disent que les Tutsis étaient arrogants, je leur réponds : à quel moment l’ai-je été ? M’avez-vous vu, ne serait-ce qu’une fois vous manquer de respect ?
 
Modeste se surprenait lui-même. Tout était délié, son élocution était bonne, teintée d’un léger accent, mais tout à fait acceptable. Il se voyait, droit comme un « i » sur la petite tribune.
 
–  Qu’avons-nous donc fait ? Rosélyne et moi nous nous sommes posés plusieurs fois la question de savoir s’il fallait partir ou non, surtout à partir du déclenchement de la guerre civile en 1990. À l’occasion d’une réunion de cultivateurs, j’ai dit aux autres gens du village : « Écoutez-moi, ma femme et moi voulons continuer à cultiver notre terre, la politique ce n’est pas notre affaire ». Ils n’ont rien dit, certains ont acquiescé, d’autres ont tourné le dos comme s’ils s’en moquaient. Lorsque j’ai vu que le gouvernement leur distribuait des radios, j’ai trouvé ça bizarre. Je me suis dit que c’était pour faire de la propagande. Nous aurions dû fuir, mais nous n’étions pas les seuls Tutsis au village, et même lorsque le gouvernement a diffusé tous ses mensonges horribles à la radio sur nous, nous n’avons pas fuis.
Modeste reprit son souffle quelques instants.
 
–  Et puis, ils sont arrivés avec leurs machettes… Ils ont voulu tuer tout le monde, y compris les enfants. Pourquoi, même les enfants ? Je m’en suis sorti par miracle, mon fils aussi. Le seigneur nous a sauvé, mais les autres, pourquoi ? Ma femme, mes cousines, mes cousins, tous morts. Et les 800 000 autres, qu’ont-ils fait ? Toute ça pour maintenir au pouvoir un tyran et ses proches.
 
L’homme pleurait maintenant, des gouttes tombaient sur l’estrade.
 
–  Ce fut ensuite de longues semaines de peurs, où j’ai croisé le destin de nombre de mes compatriotes. Il n’y a pas que des Tutsis qui sont morts, des Hutus ont été aussi massacrés parce qu’ils n’approuvaient pas ce qu’il se passait ou parce qu’ils avaient essayé de défendre des Tutsis. Ça, je l’ai su après. Pendant les années qui ont suivi, j’ai eu la haine envers tous ceux qui se sont comportés comme des meurtriers. Je vois encore leurs visages déformés par la haine et leurs yeux injectés de sang… Aujourd’hui encore, je ne suis pas apaisé, la haine m’a quitté, mais je réclame simplement justice, car même si elle s’est un peu exercée, des crimes sont restés impunis.
 
Un sourire se fit sur son visage, alors qu’il était endormi et que le soleil n’allait pas tarder à se lever.

 

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