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Blog d'auteur

Bienvenue. Après trois romans policiers, venez lire mon petit roman fantastique gratuit, L’Étrange monsieur Sergent...

Bar africain

Pas de concession dans l'écriture, je vous livre des premiers jets de ce qui sera mon futur roman... A vous de juger, de critiquer, d'aimer... ou pas...

Pour Modeste, il était impératif d’aller ce soir « Chez Bernard », un bar du centre-ville. Il ne fallait pas rater les deux rencontres du samedi soir de la Coupe d’Afrique des Nations. Celui que l’on surnommait « le tonton » avait pris une place de choix au centre du troquet. Il arborait fièrement le maillot de son pays natal, la Côte d’Ivoire. Modeste lui serra la main et s'assit à côté de lui. Ils trinquèrent une première fois pour le bon déroulement des matchs à venir. Bientôt, toutes les places furent remplies, même au premier étage, où l’on distinguait moins bien l’écran, sauf pour ceux qui se trouvaient près de la rambarde. Les autres devaient jeter des coups d’œil appuyés ou même se lever.
Toute l’Afrique était là, en majorité ce soir-là les protagonistes concernés par les matchs Côte d’Ivoire-Mali et Cameroun-Guinée. Modeste, lui, ne venait pas supporter une équipe en particulier, mais, à chaque fois, il appréciait l’ambiance électrique qui régnait lors de ces folles soirées. Ce furent d’abord les Maliens qui exultèrent à la soixante-dixième minute. Ibou avec ses lunettes noires et sa casquette bleu ciel entama un tour de salle, le torse bombé, sous les huées des Ivoiriens venus plus nombreux. Cela ne dura que quelques minutes, dix au total, avant que la salle n’explose de joie pour l’égalisation. Les applaudissements et les cris de joie résonnèrent dans tout le quartier.
À la fin du match, les joueurs et les spectateurs du bar se serrèrent la main, bons amis. Beaucoup avaient commandé en cours de match des brochettes ou du poisson accompagné de loco. Le patron malade, c’était le serveur qui se retrouva en difficulté, ne sachant plus où donner de la tête. L’heure d’entracte entre les deux matchs fut pour lui très éprouvante. La bière coulait à flot, les commandes affluaient et beaucoup commençaient à râler en attendant leur plat.
C’est à ce moment-là qu’entrèrent trois blancs d’un seul coup. Modeste et les autres les dévisagèrent. Le premier à franchir la porte, on le connaissait. C’était Jean-Pierre, qui avait vécu pendant dix ans avec une congolaise bipolaire. Il écumait depuis les bars avec une régularité assez inquiétante. Il était accompagné d’un grand blond aux yeux bleus et d’une jeune brune. Ces deux-là, personne ne les connaissait. Le tonton vint à la rencontre de Jean-Pierre et lui serra chaleureusement la main.
–  Bienvenue mon ami, bienvenue ! Je crois qu’il reste de la place en haut.
Le tonton n’était pas le patron du bar, mais il donnait un coup de main de temps en temps, comme ce soir-là.
Ça faisait bizarre à Jacquier d’avoir vu quarante paires de yeux se porter sur lui au moment où il était entré. Ça faisait bien la deuxième fois de la semaine… Il eut pendant quelques instants un peu de gène. Lecouerc, d’apparence stoïque devait ressentir la même chose. Ils furent en fait chaleureusement accueillis et se détendirent petit à petit, si bien qu’au bout de la troisième bière, le lieutenant éprouva le besoin d’aller aux toilettes. Pour y parvenir, il fallait se courber en deux pour accéder au vestibule, puis à nouveau se pencher pour l’endroit intime. Il fallut que l’architecte fut un lilliputien, ce n’était pas possible autrement, pensa Jacquier.
Ce fut l’heure du deuxième match. Le calme relatif qui régnait avant la rencontre laissa la place à la furia des supporters des deux camps. Quatre camerounais étaient arrivés tôt pour réserver des places de choix au meilleur rang devant Modeste, qui ne les appréciait guère. Les Guinéens étaient à peine plus nombreux, mais n’étant pas les favoris, ils avaient du coup la faveur de la foule.
Les femmes jouaient un rôle important dans ce véritable amphithéâtre qu’était devenu le bar de Bernard. C’étaient le soi-disant sexe faible qui sortait les griffes et qui faisaient le plus de bruit. Une Camerounaise, arrivée peu avant le match, avait pris la place d’une Malienne et son copain français posté près de la rambarde au premier étage à côté des trois blancs. Elle prenait un malin plaisir à parler anglais pour marquer sa différence en répétant « Go Lions ! » Cependant, trois Guinéennes avaient pris elles aussi position dans les parages, bien décidées à voir leur équipe l’emporter.
Le début de match fut tout à l’avantage des Camerounais et des cris se firent entendre dès la dixième minute. Une étrange expression traversa les lieux. « Aile de pigeon » proclama l’un des quatre Camerounais, trois mots qui furent reprit en cœur par ses camarades et d’une façon ironique par un bon nombre de spectateurs. « Ailes de pigeon, ailes de pigeon » s’amusèrent à crier certains moqueurs. Une femme, appelée Éveline, porta l’accusation de maraboutage à l’encontre des « lions indomptables », le tout en montrant du doigt les supporters camerounais présents dans la salle. Elle riait à gorge déployée comme possédée par un étrange démon. Oui, c’était un jeu, bien que l’un des quatre Camerounais lui répondit qu’il allait bien monter à l’étage… Ce but réveilla cependant des Guinéens jusque-là timorés et à la quarantième minute, ils égalisèrent sous les hourras de la foule. À la mi-temps, même sous les quolibets, les Camerounais restaient confiants.
–  Vous pensez que notre homme est là ? glissa Jacquier à Jean-Pierre.
–  S’il n’est pas là, il sera au Kinshasa tout à l’heure, ne vous en faîtes pas. En attendant, vous avez vu cette frénésie ?
–  Il n’y a jamais de bagarre ? s’inquiétait Lecouerc, étonnée de la passion suscitée par cette compétition et par le fait, finalement, que c’étaient les femmes qui se montraient les plus véhémentes.
–  Non, il y a rarement des bagarres pour ça. C’est avant tout une soirée de joies et de fête. Supporter son équipe est une grande fierté, c’est comme retourner au pays le temps d'un match.
Au coup de sifflet final, les Camerounais ne cachèrent pas leur amertume, eux qui étaient largement favoris dans cette rencontre. Le match fut rejoué de nombreuses minutes après la rencontre, alors que Jacquier et Lecouerc eurent enfin leur brochette, Jean-Pierre, son poisson… Jacquier en était bien à sa sixième bière…
–  Il faut que l’on fasse partie du décor, c’est la seule stratégie qui convienne pour retrouver le garçon !
–  C’est surtout le meilleur moyen pour devenir alcoolique le railla Lecouerc.
Jacquier ne disait plus rien. Il avait trempé son loco dans le piment et tentait de cacher les picotements qui lui donnaient envie de crier. Il se dirigea vers les toilettes, oublia de baisser suffisamment la tête et se cogna contre le mur. Cela fit pouffer de rire les Guinéennes placées juste à côté de l’entrée.
Après avoir remercié le tonton et jeté quelques coups d’œil furtifs pour voir si le fameux Léopold ne se trouvait pas dans les parages, les trois acolytes repartirent en voiture. Ça tombait bien que Lecouerc ne buvait pas ce soir-là.
Au Kinshasa, la soirée battait son plein. À peine rentrés, Lassana vint vers eux.
–  Jean-Pierre, mon ami ! Tiens, tu as ramené nos deux amis !
Il fallut encore trinquer aux retrouvailles.

 

 

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P
Ah, cela fait revivre en moi les échos d'un quart de finale de coupe du monde entre l'Italie et le NIgeria, vécu dans la chambre bondée d'un foyer SONACOTRA, lui-même bondé. Au premier but, du Nigeria, j'ai compris la force possible des communautés humaines quand elles vibrent à l'unisson, toutes les structures de béton du foyer ont tremblé. Au troisième but, scellant la victoire de l'Italie, il n'y eut subitement plus de spectateur, plus que des espoirs effondrés dans des lits peut-être heureusement à partager à trois ou quatre...
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M
Merci Philippe. J'avoue que c'est du vécu évidemment, sinon comment pourrait-on décrire quelque chose d'aussi particulier? Effectivement, des communautés "vibraient à l'unisson" pour reprendre votre expression, où même communiaient (dans un sens vraiment religieux) autour du ballon rond. Certes, il y avait des supporters qui étaient opposés, mais la plupart des gens venaient là pour voir un spectacle, avec ses joies et ses rebondissements...